Le groupe ferroviaire SNCF achve sa mue

Les décrets d’application de la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire et de l’ordonnance n° 2019- 552 du 3 juin 2019 se sont fait attendre. Près d’une vingtaine de textes réglementaires ont ainsi été publiés in extremis, donnant corps à la réforme institutionnelle destinée à accompagner l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Des changements qui actent entre autres la naissance, au 1er janvier, du groupe public SNCF - société anonyme à capitaux publics - et la gestion unifiée des gares au sein d’une filiale dédiée (Gares et Connexions) de SNCF Réseau, le gestionnaire des infrastructures ferroviaires. Autre antenne du groupe, la société SNCF Voyageurs n’exercera pas exclusivement des fonctions de transporteur, puisqu'elle poursuivra l’exploitation d’une grande partie des installations de service qui étaient gérées jusqu'ici par SNCF Mobilités. Les décrets statutaires qui traduisent cette nouvelle architecture comportent en particulier une mine d’informations sur le périmètres des missions confiées aux différentes entités, les règles de gouvernance et de fonctionnement de celles-ci, leur trajectoire financière et le régime des biens dont le groupe public est propriétaire ou affectataire. Ils permettent surtout de disposer d’une vision globale du fonctionnement attendu à terme du secteur ferroviaire, dans la perspective de l’ouverture à la concurrence, pour laquelle plusieurs procédures d’appels d’offres ont été lancées en 2019, par l’État pour certaines lignes Intercités et par plusieurs régions concernant leurs TER.
La mécanique implacable du financement
Elle repose sur la fameuse "règle d’or" érigée dès la réforme de 2014 pour maîtriser l’endettement du gestionnaire d’infrastructure, SNCF Réseau, en l’empêchant d’investir au delà du ratio entre sa dette financière nette et sa marge opérationnelle (désormais porté à 6 alors qu’il était préalablement fixé à 18). Un ratio mécanique devenu, au regret de l’Autorité de régulation des transports (ART anciennement Arafer), "le critère principal et incontournable de pilotage des investissements ferroviaires", au risque d’obérer "la réalisation de projets indispensables au maintien en état du réseau et à sa modernisation (…)". Le décret n° 2019-1582 (publié le 1er janvier) est censé nous donner toutes les clefs de compréhension. Les définitions retenues (dépenses d’entretien du réseau, investissements de renouvellement et de modernisation, par exemple) ont en effet une incidence, en creux, sur les investissements qui y échappent, mais également sur la notion structurante de "projet réalisé à la demande de l’État, de collectivités territoriales ou de tout autre tiers" qui commande pour partie les conditions de financement des projets ferroviaires. Pas vraiment d’éclairage en revanche du côté du décret statutaire (n° 2019-1587) sur les modalités de choix des investissements devant être reportés ou annulés. Peu de gages sont donc donnés aux régions face à l’urgence d’enrayer la dégradation du réseau. D'autant que le budget de SNCF Réseau pour l’année 2020 présente notamment des trajectoires d’investissement de renouvellement qui ne sont plus en phase avec celles du contrat de performance. A cet égard, la LOM fait figure de bouée de secours. Son article 172 agrandit la palette de solutions, en dehors du transfert de propriété, en proposant aux collectivités, qui en feraient la demande, de reprendre la gestion de certaines lignes et d’en effectuer les marchés de travaux, en cohérence avec les échanges intervenus entre le préfet François Philizot et les régions. Elle introduit également la possibilité de transférer aux régions certaines missions de gestion de l’infrastructure sur des petites lignes dont elles financent la majorité des investissements.
Gestion des biens
De gestion domaniale, il en est aussi question, à travers le décret n° 2019-1516 (JO du 31 décembre) qui s’attache au régime applicable aux biens de SNCF Réseau et de sa filiale en charge des gares (Gares & Connexions), notamment en cas de reprise de biens par des collectivités territoriales ou leurs groupements pour motifs d'utilité publique. Si la société sollicitée n'accepte pas le principe d'une cession, la collectivité pourra saisir le ministre. Le principe de la cession pourra alors être décidé par un arrêté ministériel. Il est par ailleurs prévu que la région (ou le Syndicat des transports d'Île-de-France-Stif) soit consultée (délai de deux mois) sur les projets de déclassement.
Le décret n°2019-1581 (publié le 1er janvier) tire quant à lui les conséquences de la transformation en société anonyme des établissements publics industriels et commerciaux (Epic), SNCF et SNCF Mobilités, s’agissant de la gestion de leurs biens immobiliers, et plus particulièrement de leur cession. Régions ou Stif seront informés de tout projet de cession. L’information du département a été réintroduite, celle-ci ayant été supprimée dans un premier temps de même que celle du maire par rapport aux décrets n° 2015-137 et 2015-138 du 10 février 2015 jusqu'ici en vigueur. Mais, dans tous les cas, les collectivités disposeront seulement de six semaines pour se prononcer. Un délai que le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) invitait pourtant à rallonger "a minima à deux mois" (ce qui correspond au délai fixé par les décrets de 2015), laissant la possibilité aux collectivités de se réunir "dans des délais raisonnables". Le gouvernement n’a pas cédé sachant que le ministre des Transports devra lui même rendre sa décision dans le délai de deux mois (trois mois dans les zones de "bâti dense" au sens de l’article L. 141-17 du code de l’urbanisme). Notons qu’un droit de priorité est maintenu au profit des communes et des EPCI titulaires du droit de préemption urbain, et ce en amont de la procédure avant toute recherche d’un potentiel acquéreur.
Transfert des ateliers de maintenance
L’ART en fait ni plus ni moins "une des conditions de la réussite de l’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires de voyageurs". La possibilité pour les AOT de demander, dans le cadre des conventions en cours, le transfert des ateliers de maintenance actuellement utilisés par SNCF Mobilités a été actée dès le départ. Un mécanisme néanmoins réservé aux ateliers totalement ou "majoritairement" utilisés par des matériels roulants affectés à un contrat de service public. Avec le décret n° 2019-1450 (publié le 27 décembre), on entre dans le vif du sujet, s’agissant d’apprécier "l'utilisation majoritaire d'un atelier de maintenance" par le volume d’activité dédié aux services conventionnés. Or pour l’ART, le critère lié à la durée d’utilisation des voies d’un atelier pour la maintenance qui a été retenu "n’apparaît pas le plus pertinent". Ce critère correspond d’ailleurs, peu ou prou, à celui mis en avant par l’ordonnance du 12 décembre 2018 et pour lequel l’Autorité s’était déjà montrée critique, doutant en particulier de la capacité de SNCF Mobilités à mesurer, en pratique, la durée d’utilisation des voies de ses ateliers pour la maintenance d’un ensemble de matériels roulants considéré et avec un historique de douze mois. Là encore l’information des AOT constitue le nerf de la guerre. Afin de ne pas perturber le calendrier envisagé par les AOT concernant la mise en concurrence des services conventionnés, l’ART recommande donc d’initier sans tarder, les échanges avec les AOT "afin d’établir une méthodologie propre à reconstituer, a posteriori, les usages passés".
Gestion des gares de voyageurs
Le contrat pluriannuel entre l’État et le gestionnaire unifié des gares fait lui aussi l’objet d’un décret n° 2019-1583 (JO du 1er janvier). Un texte qui là encore vient s’articuler avec le décret statutaire (n° 2019-1588). Le texte reprend, en les précisant parfois, les thématiques listées par la loi et ayant vocation à être traitées dans le cadre du contrat conclu pour six ans : trajectoire financière, qualité de service, accès des entreprises ferroviaires aux gares, sécurité, rénovation et propreté des gares, développement équilibré des territoires, etc. Y figure un objectif additionnel plus inattendu : le développement de l’intermodalité, avec l’usage de vélo. Le texte encadre aussi la consultation des différents acteurs préalablement à l’adoption du contrat pluriannuel des gares. Pour ce faire, les AOT et les associations représentatives des élus locaux disposeront ici d’un délai de deux mois.
Tarifs sociaux
Pour compléter ce panel, une série de textes reconduisent les tarifs sociaux spécifiques en matière de transport ferroviaire - applicables à diverses catégories de voyageurs dont les conditions d’éligibilité reposent sur des critères physiques, économiques ou familiaux - ayant désormais vocation à s’appliquer à l’ensemble des entreprises ferroviaires compte tenu de l’ouverture à la concurrence du secteur. La responsabilité de fixer les abonnements TER "Travail " et "élèves, étudiants et apprentis " relève désormais de la pleine compétence des régions. Une réflexion est d’ailleurs menée pour actualiser la méthode de calcul datant de 2001 des compensations versées jusqu'ici à SNCF Mobilités par l’État pour les services d’intérêt national et par les régions pour les services d’intérêt régional.
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